Par Suzanne Day

L'éducation à la maison, une option pour les parents.
Un choix que les psychologues doivent comprendre pour mieux servir.


Article paru dans Le magazine de l’Ordre des psychologues du Québec
Volume 19 – Numéro 2 – Mars 2002

Le but de cet article
L'enseignement à la maison est un mouvement en pleine expension depuis les vingt dernières années. Je suis neuropsychologue spécialisée dans les difficultés d'apprentissage et les troubles d'attention chez les enfants et les adolescents et depuis quelques années, avec les parents d'enfants enseignés à domicile. Le but de cet article est d'amener les intervenants en psychologie, à mieux comprendre cette nouvelle option qui s'offre aux parents et son impact sur les personnes impliquées. Cet article ne se veut qu'une introduction en vue de stimuler les discussions. Je suis à la disposition de ceux et celles qui voudraient me contacter. J'inclus ici des références de sites Internet qui seront utiles à votre recherche.

Présentation de la situation

L'éducation à domicile est une méthode d'apprentissage individualisée par laquelle les parents dispensent l'enseignement scolaire à leurs enfants au domicile familial. Brian Ray est un pionnier de la recherche sur l'école à la maison aux États-Unis et au Canada. Il estime qu'en 2000-2001, au moins un million et demi d'enfants américains ont été éduqués à la maison par leur parents. Une étude publiée par l'Institut Frazer en octobre 2001 a démontrée qu'au moins 80 000 enfants canadiens font maintenant l'école à la maison. Ceci constitue une augmentation significative si on considère qu'en 1979, seulement 2 000 enfants canadiens faisaient l'école à la maison. En 1996, les ministres de l'éducation des provinces canadiennes estimaient que 4 pour cent de la population canadienne d'âge scolaire étais éduqué à domicile. Il s'agit d'une augmentation de 776 pourcent en 18 ans. La population d'enfants québécois qui reçoivent leur éducation à la maison se situe entre de 10 000 et 15 000.

Claudia Helpurn, directrice de la politique éducative à l'Institut Frazer croit que cette fulgurante augmentation est due à l'insatisfaction des parents par rapport à l'éducation publique et qu'elle est facilitée par l'arrivée d'Internet et par l'amélioration de la technologie en général. Les professionels du domaine de l'éducation et des services de santé en général doivent réviser leurs modèles d'éducation et faire face à ce « paradyme shift ».

La loi de l'éducation au Québec

La section 15 (4) de la loi sur l'instruction publique au Québec qui traite de la dispense scolaire se lit ainsi : « Est dispensé de l'obligation de fréquenter une école l'enfant qui : reçoit à la maison un enseignement et y vit une expérience éducative qui, d'après une évaluation faite par la commission scolaire ou à sa demande, sont équivalents à ce qui est dispensé ou vécu à l'école. » Il n'y a pas de loi quant aux qualifications que le professeur qui enseigne à la maison doit posséder.

La section 18 de la loi sur l'éducation stipule : « Le directeur de l'école s'assure, selon les modalités établies par la commission scolaire, que les élèves fréquentes assidûment l'école. Si le directeur détermine qu'un étudiant est absent de l'école sans raison valable, il doit, après avoir discuté avec les parents, "le signaler au directeur de la protection de la jeunesse, après en avoir avisé par écrit les parents de l'élève." » Cette section de la loi a posé de nombreux problèmes aux parents qui choisissent d'enseigner à la maison.

Rendement et apprentissage scolaire

Les résultats scolaires obtenus lors de tests standardisés révèlent que les enfants éduqués à la maison réussissent au quatre-vingtième rang centile. Le docteur Brian D. Ray du National Home Education Research Institute (NHERI) a conduit une recherche en 1994, avec un échantillonnage de 2 594 jeunes Canadiens éduqués à la maison. Il a découvert que leur moyenne scolaire était bien au-dessus de celle des enfants éduqués dans les écoles conventionnelles, plus de 26 points d'écart, et ce dans toutes les matières scolaires.

En 2000, les trois premières places d'un concours américain d'épellation, le Scripps-Howard Contest, furent remportées par des enfants enseignés à la maison, de même que les deux premières places du concours national de géographie en 1999 et 2000. Autre statistique intéressante, la recherche du Docteur Ray portant sur les lectures personnelles a permis de voir que 32 pour cent des enfants à qui ont fait l'école à la maison lisent 15 à 45 minutes par jour et 26 pour cent, de 45 à 90 minutes par jour. La recherche en question rapporte aussi que 95 pour cent de ces enfants voient une personne lire chaque jour à la maison.

L'évaluation annuelle du rendement scolaire annuel est faite à la maison. Les parents peuvent se procurer des tests standardisés qu'ils commandent d'un service privé (un service que j'offre comme psychologue). L'enveloppe scellée est remise à un professeur certifié qui fera passer tests aux élèves. Les tests complétés et les cahiers d'instructions sont retournés pour la correction. Les résultats sont envoyés, accompagnés d'explications pour aider les parents à interpréter l'information. Ces tests permettent aux parents d'évaluer le progrès de leurs enfants d'une année à l'autre, en les comparant au rendement scolaire de milliers d'autres élèves de leur âge.

Pour ce qui est des programmes d'enseignement, le choix est beaucoup plus vaste en anglais qu'en francais. Beaucoup d'options s'offrent aux parents : programmes télévisés que les parents recoivent par satellite, programmes gradués ou différents livres que les parents choisissent en fonction des programmes du minstère et les besoins de l'enfant. Plusieurs familles choisissent un programme bien structuré alors que d'autres préfèrent une approche sans structure formelle (« de-schooling »). Même avec un programme bien défini, les parents ont la flexibitité de modifier leur approche au fur et à mesure qu'ils découvrent mieux les besoins scolaires de leur enfant.

Des associations de parents qui enseignent à domicile se sont formées pour assurer un soutient. Des conférences sont organisées chaque année pour promouvoir des mises à jour pédagogiques. Ces groupes de soutient organisent des activités pour les enfants et les parents comme des concours d'épellation, différerents cours académiques et non-académiques, des chorales, du patinage, etc.

Certaines caractéristiques de ces familles

Les parents choississent de faire l'école à la maison pour différentes raisons, par exemple : le désir d'inculquer des valeurs spécifiques, une volonté de voir un rendement académique plus élevé, le manque de discipline dans les écoles publiques, l'environnement dangereux dans lequel les enfants se retrouvent (vous vous souviendrez probablement de l'article sur l'intimidation chez les enfants). Très souvent, un retard académique ou des difficultés d'apprentissage soupconnées poussent les parents à opter pour l'éducation à domicile.

La recherche et l'expérience dans le domaine de l'éducation ont démontré que le statut économique et le niveau scolaire des parents influencent le rendement académique des enfants. Cependant, on ne retrouve pas de telle relation entre les enfants éduqués à la maison et leurs parents. L'étude du docteur Ray rapporte que le salaire annuel des familles dont un des parents enseigne à la maison (qui n'est fourni que par un seul parent) n'affecte pas les résultats scolaires des enfants. Pour ce qui est du niveau d'éducation, seulement 7 pour cent des pères et 12 pour cent des mères ont un diplôme en enseignement et leur niveau moyen d'éducation est de 14 ans. L'étude montre que le niveau d'éducation du père influence la performance des enfants en lecture et en vocabulaire. En revanche, le niveau d'éducation atteint par la mère n'avait aucune incidence significative sur les résultats obtenus par les enfants. Ces données sont intéressantes quand on considère que l'enseignement à domicile est dispensé par la mère dans 83 pour cent des cas et par les pères dans 9 pour cent des cas.

Cette option nécessite, bien sur, qu'un des parents enseigne à l'enfant. Conséquemment, la famille doit survivre avec un seul salaire, ce qui entraine des restrictions financières. En plus, les parents doivent payer eux-mêmes pour les ressources, comme les livres et le matériel didactique. Très souvent le père doit être beaucoup impliqué avec la mère pour réussir à cette tâche. La mère peut facilement développer de l'anxiété si elle ne recoit pas un support adéquat, comme apprendre à planifier son temps entre ses responsabilités et ses besoins personnels.

Les parents qui optent pour l'éducation à la maison sont déterminés à faire ce qui est nécessaire pour répondre tant aux besoins académiques qu'émotionnels de leurs enfants. Souvent, pour ces parents, le développement d'un bon caractère et d'une stabilité émotionnelle est aussi important que le développement des habiletés académiques et ils veulent s'impliquer plus drastiquement. La pression émotionnelle exercée sur les parents est importante puisqu'ils se placent comme les seuls responsables pour le rendement académique de leur enfant. En d'autres mots, ils ne peuvent plus « pointer le doigt » sur quelqu'un d'autre. Lorsqu'ils acceptent cette lourde responsabilité la plupart des parents sont conscients du sacrifice que leur choix implique.

Enseigner à un enfant aux prises avec des difficultés d'apprentissage

Le défi est encore plus grand quand la famille compte un enfant qui fait face à des difficultés d'apprentissage. Voici un scénario typique que je rencontre régulièrement : l'enfant de troisième année qui fréquente une école publique a de la difficulté en lecture. Les parents, de plus en plus inquiets du retard scolaire de leur enfant, contactent le professeur. Il arrive souvent qu'une importante implication des parents masque les difficultés scolaires de l'enfant quand le professeur le compare avec d'autres enfants de la classe. Le professeur, devant l'insistance des parents, promet d'intervenir ou les rassure en leur disant que l'enfant a besoin de temps pour maturer. L'enfant continue à prendre du retard et développe souvent une certaine phobie de l'école. Ces enfants ont besoins d'aide individuelle. Les options offertes aux parents sont limitées, surtout si la famille vit en dehors des grands centres : envoyer l'enfant chez un tuteur est dispendieux et les écoles privées ne sont souvent pas organisées pour soutenir des enfants qui ont des besoins de récupération. L'éducation à la maison est une nouvelle option que plusieurs parents considèrent.

En 1994, une étude conduite par le docteur Steven F. Duvall, psychologue scolaire, a donné des résultats intéressants. Intitulée « The Effects of Home Education on Children with Learning Disabilities », cette étude a permis de démontrer qu'un professeur passe 43 pour cent de son temps en interaction avec son élève lorsqu'il enseigne à la maison. En comparaison, dans une classe de récupération, seulement 6 pour cent du temps du professeur est passé avec chaque enfant de cette classe spéciale. On a aussi observé que les enfants en classes de récupération occupent 74,9 pour cent de leur temps à des activités qui n'ont rien à voir avec leur apprentissage. Ce chiffre se situe à 40,7 pour cent du temps pour les enfants eduqués à la maison.

Les parents de ces enfants affectés de troubles d'apprentissage ou d'attention ont souvent besoin de l'intervention de psychologues et d'orthopédagoques pour mieux diriger leurs démarches d'éducation à la maison. Cependant, ces parents sont souvent sur leurs gardes en ce qui concerne l'accès aux services psychologiques. Ils craignent non seulement qu'on ne respecte pas leur droit d'enseigner à leur enfant à la maison, mais surtout d'être découragés dans leurs démarches de prise en charge de l'éducation d'un enfant avec un problème d'apprentissage ou d'attention. Au cours des années, consciente de ces besoins, j'ai développé des services pour ces parents. Je leur fais parvenir par la poste des inventaires de comportements normalisés pour cerner les difficultés d'appentissage ou d'attention chez leur enfant. Avec les résultats de ces inventaires, une discussion plus objective s'amorce et souvent, les parents demandent une évaluation psychométrique. J'offre aussi des programmes maison qui sont bâtis individuellement et qui visent non seulement un meilleur enseignement des matières scolaires mais à stimuler les fonctions d'apprentissage et d'attention par l'intermédiaire d'activités de développement que je leur enseigne. Les résultats sont très encourageant.

Éducation à la maison et la socialisation

La socialisation est un des aspects qui concernent les psycholoques. La recherche du docteur Ray démontre que 93 pour cent des enfants sont impliqués dans des activités parascolaires. Ils passent en moyenne 12 heures par semaine en companie d'enfants autres que les frères et soeurs.

Plusieurs recherches ont étudié, à l'aide de questionnaires standardisés, l'estime de soi des enfants éduqués à la maison. Les résultats que John Wesley Taylor a démontré que, en utilisant le « Piers-Harris Children Self-Concept Scale », 50 pour cent des enfants éduqués à la maison ont un résultat qui se situe au dessus du 90ième rang centile, alors que seulement 10,3 pour cent arrivent en dessous de la moyenne nationale. Les « Vinaland Adaptiuve Behaviour Scales » ont été utilisés par Thomas Smedley de l'université Radford. Les enfants qui recoivent leur éducation à la maison se situent au 84ième rang centile sur l'échelle du comportement adaptatif, alors que les enfants éduqués à l'école publique se situent au 27ième rang centile. Dr. Smedley fait une distinction intéressante entre de la socialisation verticale, valorisée et favorisée par l'éducation à la maison, et la socialisation horizontale, favorisé à l'école publique. La socialisation verticale implique la création de liens avec des personnes plus agées ou moins agés alors que la socialisation horizontale force les enfants à se limiter à la conformité de leur groupe d'âge immédiat. J. Gary Knowles de l'université de Michigan, a suivi 53 adultes qui ont été éduqués à la maison. Il a noté, entre autres, qu'aucun d'entre eux ne recevait de prestations de l'assurance-emploi ou d'aide social. La grande majorité d'entre eux (75 pour cent) croient que leur scolarisation a contribuée à les faire interagir avec des personnes de tous les niveaux de la société. 96 pour cent de ces adultes ont l'intention d'éduquer leurs enfants à la maison. Le docteur Larry Shyers conclut son étude en affirmant que ces résultats montrent que la qualité du développment social d'un enfant dépend plus de son contact avec des adultes matures et moins du contact avec d'autres enfants.

Conclusion

En tant que psychologue scolaire je me suis trop souvent butée devant l'apathie de parents d'enfants référés au département de psychologie. Par contre, aux cours des dix dernières années, les parents éducateurs que j'ai cotoyés m'ont inspiré un grand respect. Je reconnais que l'enseignement à la maison n'est ni désirable ni possible pour toutes les familles. Il est toutefois évident que cette alternative présente plusieurs avantages et que l'enseignement à la maison devrait susciter le respect et l'admiration des professionels et des chercheurs.

Copyright 2005 Suzanne Day,

Une recherche détaillée, payée par le gouvernement américain fut conduit par Bielick, Chandler, and Broughman, du National Center for Education Statistics (NCES), Homeschooling in the United States 1999.

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